La Revue Masques - Historique -

De Masques à Persona (1979-1986)

 

Les aléas de la mixité : 1982


Comme l’écrivait JP Joecker dans son édito du N°17, Masques avait beaucoup changé depuis 1979. Sur les 15 membres de la rédaction de 79 (dont 4 femmes) il en subsistait 6 en 1983 ; la direction de la revue était restée plus stable : sur les 6 membres du secrétariat de rédaction, 4 y étaient encore en 1983  sur un total de 9. On notera l’élargissement de cette rédaction passée de 15 collaborateur/trices réguliers en 79 à 27 en 83 !  Certaines évolutions s’accomplirent dans le consensus, le renforcement des pages culturelles par exemple, d’autres occasionnèrent de sévères débats et même le départ d’une partie des fondatrices au printemps 82.
Dès sa naissance Masques rencontra une première difficulté quand une partie des rédactrices souhaitèrent exclure celles qu’elles qualifiaient de « fausses lesbiennes » parce qu’elles avaient eu des relations hétérosexuelles. Le débat fut rude, à juste titre, puisqu’il mettait en cause l’essence même du projet, une revue ouverte, se refusant à être un ghetto. La majorité ne céda pas et tenta de convaincre les personnes visées de rester. En vain évidemment… Cette opposition persista par la suite, de façon latente, avec le quasi refus de traiter de V Leduc ou de Colette par ex. Elle explique en grande partie la rupture de 1982. Toutefois, cette approche différente de l’homosexualité renvoie à une oppression spécifique pesant sur certaines lesbiennes « exclusives » que les rédacteurs ne comprirent pas à l’époque et qui ne fut jamais discutée en tant que telle. Même à Masques il n’était pas toujours facile de débattre.

 Au printemps 80 (N°4) « quatre femmes du collectif de rédaction » écrivent une Lettre à Tony Duvert où elles critiquent avec véhémence son article « Idée sur Narcisse » paru dans le numéro précédent qui aurait caricaturé, selon elles, les sociétés matriarcales. Tony Duvert répondit longuement dans le N° 5… Mais déjà, un autre clivage était apparu, de nouveau à propos de T Duvert et de son essai « L’enfant au masculin » (Minuit 1980). Il y attaquait, avec violence, Jean Luc Pinard-Legris et Benoit Lapouge, collaborateurs de Masques qui venaient de publier « L’enfant et le pédéraste » au Seuil. Masques leur avait donné la parole dans un long entretien (N°4) suivi d’une critique de l’ouvrage (N°5).La rédaction fut sommée par les mêmes rédactrices de choisir entre T Duvert et les deux auteurs ! Encore… Il n’en était évidemment pas question et Masques répondit par un Dossier où JL Pinard-Legris et B. Lapouge, ainsi que Leila Sebbar, attaquée aussi par T Duvert, purent s’exprimer. Une fois encore la majorité de la rédaction n’avait pas cédé mais la crise entraina, à son grand regret, le départ de ces deux collaborateurs… Le pluralisme lui non plus n’était pas facile à maintenir au sein de l’équipe ! Dans son bilan « Masques a deux ans » le secrétariat de rédaction ne cache pas les difficultés : «  Le 3° problème réside dans la conception et la pratique de la mixité : celle-ci se résout encore, pour l’essentiel, à la simple juxtaposition…/… Nous entendons aller beaucoup plus loin et confronter, imbriquer, nos vécus et nos discours » Dans l’esprit des fondateurs, la mixité était aussi essentielle que la pluralité : Masques ne s’intitulait pas pour rien  Revue des homosexualités…Position audacieuse à l’époque, et mal vue par de nombreux homosexuels mâles restés souvent fort misogynes ! Mais ce que les fondateurs n’avaient pas imaginé, c’est que cette mixité serait dénoncée aussi par les féministes radicales, puis de l’intérieur même de la revue par certaines de ses fondatrices…. Et de fait la mixité originelle évolua peu à peu vers cette juxtaposition dénoncée dans le bilan.

Mais revenons sur ce départ.  Le long texte (6 pages) publié in extenso ne donne pas de raison particulière à la date de ces départs survenus entre le 15 février 82 (Michèle Ouerd ) et le 21 avril, date de la lettre signée par 8 collaboratrices. Mais il dresse un réquisitoire justifiant cette rupture : Résumons. Masques serait devenu une revue culturelle où les homosexualités passent plus ou moins sous la table. Le discours (et l’iconographie) sont devenus masculins avec des attaques répétées contre le féminisme. Les lesbiennes ne peuvent plus s’exprimer malgré toutes nos tentatives, personnelles ou collectives pour simplement nous faire ENTENDRE…/…Nous en avons été réduites aux départs. Partir pour contribuer à ce que le mouvement autonome des lesbiennes puisse se renforcer. Le texte se terminait avec l’annonce de la création d’une Association collective lesbienne et une adresse où la contacter. Quelques mois plus tard naissait la revue Vlasta (1983-85). L’essentiel était donc là : c’est bien la mixité que refusaient les signataires. Leur texte est sans ambigüité d’ailleurs : Dès le début nous savions qu’une entreprise mixte était pour nous un danger. Puis, un peu plus loin, cette phrase terrible : Nous avons dû admettre qu’en tant que lesbiennes, Masques nous mettait en danger de destruction. (p183) Et ce constat : La mixité est comme le mariage, le premier lieu d’enfermement des femmes. On conçoit fort bien que la rupture était inévitable.

Heureusement, l’élargissement des collaborateur/trices contribua à améliorer la situation : des femmes ayant un autre parcours et d’autres conceptions prirent une place de plus en plus importante dans la revue. Au N°17 Katy Barasc et Catherine Wande rejoignent le secrétariat de rédaction.  Ironie de l’histoire, c’est dans le même numéro (14) où les démissionnaires annoncent leur départ qu’est publié une table ronde mixte sur « La vie de tous les jours », la première depuis celle du collectif de rédaction dans le N°3 ! Elle sera suivie, dans le N°17 d’un entretien mixte entre Annie Guirec et JP Joecker pour Masques et un employé d’un sex- shop de Pigalle intitulé « Pornoscopie ».Cette crise, de croissance (?) surmontée, Masques allait continuer à pratiquer une mixité cette fois apaisée et oh combien féconde