La Revue Masques - Historique -

 

De Masques à Persona (1979-1986)

 

Les dernières années (1985-1986)

 

Les difficultés vont croître ces dernières années. Cependant cette période est marquée par le succes des Albums et l'approfondissement de la réflexion sur la démarche suivie depuis 1979.


Un succès : Les Albums Masques

 

Encore une idée, et une réalisation de Jean Pierre Joecker ! Le premier, consacré à Jean Cocteau fut conçu et réalisé par Milorad et JP Joecker, avec de nombreuses et  prestigieuses collaborations : Jean Marais et Edouard Dermit d’abord, mais aussi Jacques Brenner, Jean Chalon, le cinéaste Guy Gilles etc.… Il comportait des textes et poèmes inédits et une abondante iconographie. Publié en septembre 1983 à 6000 exemplaires, il connut un succès immédiat et fut vendu à 5050 exemplaires (mai 86). A sa parution, Masques organisa une Nuit Jean Cocteau au cinéma  L’Escurial à Paris. En décembre, Persona publia Le Mystère de Jean L’oiseleur, jamais réédité depuis 1925, dans une édition de luxe à tirage limité (500 exemplaires).
Ce succès entraina la publication d’un second Album Masques consacré à Colette en octobre 1984. Il fut codirigé par Katy Barasc et JP Joecker avec de nombreuses collaborations : Daniel Arsand, Jean Luc Barré, Maité Carrère, Philippe Carteron, Jacques Dupont, Françoise d’Eaubonne, Milorad, Yannick Resh et Bruno Villien. Bertrand de Jouvenel autorisa la publication de nombreux documents inédits,  le peintre Michel Rémy-Bieth et la bibliothèque Jacques Doucet contribuèrent à la richesse de l’iconographie. La encore le succès fut au rendez-vous : tiré à 4000 exemplaires, l’album fut vendu à 3320 (mai86).

Hélas le troisième album, consacré à Tennessee Williams, dirigé par l’universitaire Georges Michel Sarotte, aussi riche et original que les deux précédents, fut publié (3000ex) trop tard, en mai 86, quelques semaines seulement avant l’arrêt des Editions Persona, et il ne fut donc quasiment pas distribué.


Masques trimestriel de l’été 83 à l’été 85 (numéros 18 à 25 et 26)


Avec ces huit numéros, la revue connait une sorte de maturité et rien ne laisse présager son arrêt dans l’été 1985. La rédaction est stabilisée et  ne changera plus à partir du N° 20 (hiver83) : le comité de rédaction est composé de 8 personnes, avec une parité parfaite, tant homme/femme que fondateurs (Chris Bowyer-Jones, J M Combettes, J P Joecker, A Sanzio) et nouveaux membres : Katy Barasc, Dominique Ciarlo, Michèle Combettes, Jean Michel Quiblier, Maité Tomas et Catherine Wande. La rédaction compte 17 personnes dont 8 à l’international : Belgique, Grèce, Italie, Québec et USA. Il s’y ajoute, suivant les numéros de 12 (N°19 et 21) à 20 contributeurs/trices pour ne N° 18. Même stabilité parmi les collaborateurs qui sont désormais nombreux à écrire régulièrement : Daniel Arsand, Wanda Bannour, Michel Carassou, René de Ceccatty, Françoise d’Eaubonne, Hugo Marsan, Hervé Le Masson, Michel Lhomme, Michel Rey, Dominique Robert, Edouard Roditi, Pierre Ruetsch, Bernard Turle, Didier Varrod et Gilles Vincent. D’autres contribuent  ponctuellement comme Jacques Brenner, Hervé Guibert, Daniel Mauroch ou Dieter Schidor. Un rapide survol du contenu de la revue fait apparaître des permanences, littérature, cinéma, modes de vie mais aussi des nouveautés. La littérature continue à tenir la première place : sur les 7 Rencontres, rubrique qui ouvre chaque numéro, 5 écrivains (R Peyrefitte-N°18, Françoise Mallet-Joris-N°19, Catherine Rihoit-N°20, Jacques Brenner-N°22, Michel Tournier-N°23) un philosophe, Jean Paul Aron-N°21 et une cinéaste, Yannick Bellon-N°24. La rubrique Connaître est très largement vouée à la littérature : Jeanne Galzy et T Williams (N°18), K. Mansfield (N°22), L Pierre-Quint (N°23) et Hervé Guibert (N°24). Mais le cinéma y occupe aussi une place importante avec pour Guy Gilles et André Téchiné, un portrait suivi d’un entretien. Enfin le peintre Pontormo est gratifié d’un portrait dans le N°20. La rubrique Dossier ne néglige certes pas les Lettres avec Oscar Wilde (N°20), Carson Mc Cullers (N°21) et François Mauriac (N°24) mais explore aussi des territoires nouveaux pour Masques : Méditerranée (N°18 avec des entretiens avec Tahar Ben Jelloun et Paul Veyne), Photographies (N° 22) avec Christian Caujolle, Irmeli Jung, Patrick Mauriès et deux Dossiers consacrés à la peinture : Michel-Ange (N°19) et Rossetti et les préraphaélites (N°23). Ces nouveautés, pour Masques, sont présentes dans les deux dernières parties de la revue : Modes de vie et Magazine. Pierre Ruetsch donne régulièrement des articles consacrés aux arts plastiques, une rubrique histoire apparait avec Dominique Robert et Michel Rey. Le magazine traite désormais régulièrement de la musique, de l’opéra à la variété avec Alain Dubar, Charles Dupéchez, Didier Varrod, de la photographie avec Philippe Mezescaze et de  la danse. Elargissement comparable pour les modes de vie : géographique, Le mariage des femminielli à Naples (N°18), Pasolini et son assassin Pelosi (N°20), Cuba, un goulag tropical et l’Inde (N° 22) mais aussi thématique : D. Robert consacre une longue étude au costume (N°21) et y revient dans le N°23 ! Katy Barasc introduit la philosophie dans la revue (Michel Foucault, stylistique et Eros N°24). On notera aussi la raréfaction des articles consacrés à la militance, traitée cependant dans la rubrique Actuelles sous forme de brèves informations. Seuls ou presque, Jean Boyer et Alain Sanzio tentent de rendre compte des changements survenus depuis 1979… Dans un article (N°19) au titre provocateur » Les chaînes dorées de la libération gaie » A Sanzio appelle à «  détruire ces normes, d’ailleurs récentes, mutilantes pour tous, homo et hétérosexuel/les…/…A la logique de l’enfermement et du repli sur nos réserves doit succéder l’investissement de tout le corps social à partir de nos territoires libérés. » Jean Boyer dans «  La révolution des modes de vie » (N°21) décrit les avancées portées par les gais et dont les hétérosexuel/les commencent à s’inspirer : « Contre le sexe en prison, il faut briser quelques verrous, défaire quelques règles… pour permettre aux diversités de fleurir dans l’anormalité, pour vivre des expériences plurielles qui élargissent les potentialités humaines. »  Avec de telsdiscours on comprend que l’existence même de Masques comme revue des homosexualités est en question et que d’autres voies se profilent…  Aussi n’est-il nullement étonnant que le numéro spécial25/26, publié en mai 85, après six années d’existence soit le dernier… JP Joecker l’annonce implicitement dans son éditorial intitulé « De l’explosion gaie à la fin de l’homosexualité » avec une allusion à un nouvel état d’esprit et pourquoi pas à un nouveau Masques à l’automne…A Sanzio explicite ce nouvel état d’esprit dans son article «  Parler gai pour détruire l’homosexualité ». Ce numéro spécial intitulé «  Années 80 : Mythe ou libération » se présente comme un bilan des changements survenus depuis l’explosion gaie de 1979. Il apparaît autant comme une apothéose qu’un point de départ. Par le choix des personnalités témoins, longuement interviewées : Serge July, Jack Lang, Yvette Roudy et Simone Veil. Par la parole donnée à la presque totalité des acteurs du monde gai français : Franck Arnal, directeur du Gai-Pied et Jean LeBitoux  son fondateur, Christiane Jouve, directrice de Lesbia, Jean Pierre Meyer-Genton, fondateur des Mots à la bouche, Jacky Fougeray, fondateur du mensuel Samouraî, David Girard, le premier businessman gai. Enfin par la place donnée à  « nos » amis écrivains, invités à participer au débat : Dominique Fernandez revient sur L’Etoile rose, son roman manifeste, Guy Hocquenghem,  expliquant « Pourquoi je ne veux pas être un écrivain gai », Jocelyne François, revenant longuement sur son œuvre, Renaud Camus  débat sur les modes de vie, Angelo Rinaldi réfléchit sur De la littérature et de la création…Enfin d’autres contributions présentent « Le miroir éclaté des représentations culturelles » : cinéma (Bertrand Mosca,  A Sanzio, Pierre Tranouez), variétés( A Dubar), opéra (C. Dupéchez), esthétique (Michel Lhomme) tandis que la rubrique finale « Mythe ou libération » aborde la question des églises (Jacques Vandemborghe), de la morale (Jacques Gabriel) et de l’identité sexuelle (A Sanzio, J LeBitoux et J Vandemborghe). Laissons la parole pour terminer à JP Joecker, auteur logique de l’article sur Masques intitulé «  La revue du gai désordre amoureux » qui termine avec cette conclusion prémonitoire : « Pour résumer disons que Masques c’est avant tout un état d’esprit, un art de vivre au masculin et au féminin. Un regard gai sur le monde bouleversant les codes et les normes avec une volonté d’ouverture et la découverte ou le dessin d’une nouvelle carte du cœur et du corps. Masques c’est la revue du gai désordre amoureux. »

Prémonitoire cette conclusion décrivant davantage le Masques futur, mensuel, en kiosques à la fin de l’année, que le Masques trimestriel  disparaissant avec ce coup d’éclat…


La trop brève aventure de Masques mensuel : décembre 1985 mai 1986


Les dés étaient jetés bien avant le N°25/26 comme le reconnait JP Joecker dans une longue interview (une page entière du Monde ! le 15/16 décembre 85) de Josyane Savigneau : « Nous avons pris la décision de faire un mensuel en février dernier. Quand on a crée Masques on avait besoin d’affirmer une identité homosexuelle. Maintenant on peut refuser l’étiquetage. Nous voulons casser les catégories. » Derrière ce « nous » il faut entendre d’abord « je » même si les fidèles du trimestriel et de Persona, JM Combettes et A Sanzio suivront et formeront à eux trois la SARL Masques et le comité directeur du mensuel. Le seul et vrai patron du mensuel fut Jean Pierre Joecker avec, autour de lui, une rédaction renouvelée, qui se réunit pour la 1ère fois le 4 mai. Certes on y trouve beaucoup d’anciens du trimestriels : Katy Barasc, René de Ceccatty, Daniel Arsand, Charles Dupéchez, Jacques Gabriel, Hugo Marsan, Bertrand Mosca, Michel Rey, Jacques Vandemborghe. Mais de nouveaux noms apparaissent : Dominique Denès (Beaux Arts), Danielle Boone (photo), Raphael de Gubernatis (danse), Alain Prique (théâtre), Germaine Aziz (animaux), Alain Foucher (mode). Des chroniqueurs aussi : Philippe Boucher, Christian Caujolle, Jocelyne François et Hervé Guibert. Renouvellement marqué aussi chez les collaborateurs avec l’arrivée de : Alain Borer, Patrick Bossatti, Michel Cyprien, Jacques Grant, Henri-Jean Servat. La rupture avec le trimestriel est aussi esthétique avec un grand soin porté à la maquette (Gilles Bescher) et à l’illustration : faute de moyens, le noir et blanc est de rigueur mais le recours à des professionnelles de talent (Irmeli Jung et Emmanuelle Barbaras) est une réussite, saluée dans la presse. Le mensuel entend être «  un bel objet » et il le fut en effet. Logique pour ce magazine » chic » et hélas cher (35F) qui affiche comme raison d’être : « Une autre manière de dire, une autre manière de vivre. »                                                                                   
Alors, pari fou que cette nouvelle aventure ? Assurément ! Plus que celle du trimestriel ? Incontestablement. Financièrement, le coût de ce dernier restait modeste, une fête réussie suffisait à le financer ! Il n’en était pas de même du mensuel… Lancé, alors que la situation de Persona était déjà chancelante, sans aucun moyen financier, donc sans numéro zéro permettant de trouver des recettes publicitaires et de rôder la formule. C’est pourquoi le numéro 2 sortira deux mois après le premier : le laps de temps permettant de bénéficier des ventes et de chercher la publicité indispensable. Mais pari logique, longuement explicité dans le dernier numéro du trimestriel. Le mensuel abandonna donc son sous-titre « Revues des homosexualités » et ses préoccupations militantes. Et  affiche clairement ses nouvelles ambitions : « Etre le miroir de la vie culturelle mais aussi la projection de nos désirs et de nos envies. » (Éditorial du N°1). Et pari qui ne fut pas loin d’être gagné ! Un numéro revenait à 250 000 Francs, l’entreprise était donc rentable avec 10 000 exemplaires vendus déclare JP Joecker dans son entretien avec J. Savigneau. Le premier numéro approcha cet objectif avec 9800 exemplaires vendus (3000 à Paris, 5000 en province). Certes un tassement se produisit ensuite, suivi d’un rebond au N° 4 (7700 exemplaires). Avec un peu de temps, l’équilibre aurait peut être été atteint. Ce ne fut pas le cas et le N° 5 fut le dernier.

Le contenu fut-il à la hauteur de l’ambition revendiquée : un regard gai sur le monde ? Difficile de répondre aujourd’hui, surtout en quelques lignes. Sans conteste, le point fort resta, comme dans le trimestriel, la fameuse Rencontre : A l’instar de la journée passée avec Michel Tournier dans son presbytère de Choisel pour ne N°23, JP Joecker, P Gautier et B. Mosca furent invités par Gérard Depardieu dans sa maison de Bougival et en ramenèrent, outre de magnifiques photos (de P. A. Deschamps), un entretien fleuve et haut en couleurs ! De même Catherine Deneuve, Françoise Sagan et Barbara accueillirent les rédacteurs de Masques chez elles, longuement et le résultat trancha avec les entretiens traditionnels… Autre réussite, là encore reprise du trimestriel, le Dossier : le meilleur fut assurément le dernier, consacré à P Chéreau et aux Amandiers (N°5) tandis que le premier « Hollywood, mâles séducteurs » s’efforçait de réussir cette nouvelle approche culturelle. Innovations réussies, la chronique Citoyen de Philippe Boucher (éditorialiste au Monde) qui ouvre le numéro, les Promenades, avec Hector Bianciotti ou Michel Tournier entre autres, la rubrique Espace tenue par Jacques Gabriel, le Portfolio consacré aux créateurs… L’actualité est abondamment traitée en fin de numéro, dans la rubrique Variété, avec, bien sûr, une place de choix accordée à la littérature et au cinéma. Le numéro 5 fut donc le dernier et, il suffit de le feuilleter pour comprendre que l’échec était inéluctable : Hormis la quatrième de couverture, achetée dès le début par Pierre Bergé pour YSL, la publicité est pratiquement absente… condamnant irrémédiablement l’aventure commencée six mois plus tôt. Signalons enfin, pour être complet, que fut crée, dans l’esprit du trimestriel, une revue intitulée « Les Cahiers Masques » dont le premier et seul numéro parut au printemps 1986, avec une longue interview de Pierre Bourdieu.

Jean Pierre Joecker multiplia les tentatives pour trouver un repreneur, en vain. Il est vrai qu’il refusa toujours de perdre le contrôle éditorial tant de la maison d’édition que du mensuel… On notera qu’à ce jour, les autres tentatives similaires ont toutes échoué et que même le magazine Tétu n’a jamais réussi à équilibrer ses comptes et ne survit que grâce à la générosité de son mécène…